Ils me regardent

Posté le 07 février 2011

(auteur-compositeur: Jean-Luc Lecourt, alias Jean-Luc Le Ténia)

accords piano: main gauche: do fa, main droite: do sol

Ils me regardent, les yeux, des milliers d’yeux me regardent, des milliards d’yeux me regardent, des centaines d’yeux me regardent, des dizaines d’yeux me regardent, un œil me regarde, Dieu me regarde, ils me regardent, et moi aussi, je les regarde, quand je peux les voir, mais je sais qu’ils sont là. Déjà tout petit je pensais qu’il y avait toujours quelqu’un en train de me regarder, Dieu ou des petites caméras fixées en haut des poteaux, en haut des lampadaires, et je pensais: « tout ce que je fais, même en secret, ça se sait, est observé, alors il faut que je fasse attention à chacun de mes gestes, chacune de mes paroles, seules mes pensées resteront réservées, personne ne peut les entendre, sauf Dieu, mais Dieu, hop, tout d’un coup je n’y crois plus, je ne sais pas comment ça se fait, mais je n’y crois plus, ça a disparu, ça ne tient plus, ça s’écroule, Dieu s’écroule, il n’y a rien à faire pour arrêter ça, il s’écroule lentement, Dieu, comme un éboulement de neige, une avalanche, vue de loin, qui s’écroule lentement, silencieusement, Dieu a fondu comme de la glace, à la flamme d’une bougie, la même flamme que celle de la foi ? Je ne sais pas, mais j’imagine qu’une flamme en remplace une autre, nous sommes comme des chaudières, la petite flamme bleue comme une veilleuse, sinon on n’aurait pas l’eau chaude ni le chauffage. », et je pensais, un peu plus tard : « un de mes amis est mort dans un accident de voiture, et je suis en colère, puis quelque chose se construit, quelque chose se passe devant moi, comme une brique, comme la première pierre d’une maison, quelque chose de dur, de matériel, de tangible, quelque chose de concret s’impose à moi, comme une pierre de touche à laquelle je jauge toutes mes expériences et les options qui s’imposent à moi, quelque chose qui me prend aux tripes quand je sens que ce n’est pas la bonne solution, le bon choix, une sonnette d’alarme, un étouffement, une paralysie vitale: « non, ne fais pas ça, il ne faut pas, tu vas être malheureux, tu vas rater ta vie, tu n’auras plus de vie, tu ne peux pas vivre comme ça », et ce qui peut sembler fou ou kamikaze pour certains n’est que la démonstration définitive que j’ai pris conscience de ce que c’était que d’être en vie, grâce à la mort de cet ami, j’ai pris conscience de ma vie, et ma colère était plus forte que tout, et tous mes muscles, toutes mes veines, toutes mes pensées étaient gonflées à leur maximum, plus rien ne me faisait peur, j’étais devenu une boule de nerf prête à éclater le monde, le monde était alors complètement à ma merci, dépendant du moindre battement de mes cils, j’étais devenu le monde et je tapais dans un ballon, qui venait de rouler sur le trottoir devant moi, des enfants étaient en train de jouer au foot dans un petit parking de résidents, et je leur ai renvoyé le ballon en shootant très fort, concentrant toute la haine et le sentiment d’injustice, ce que je ressentais lors de cette marche destinée à me permettre d’assimiler la nouvelle que je venais d’apprendre de la bouche de ma mère, que Sébastien était mort, je suis resté assis en silence sur mon lit, Sébastien était mort, et il y avait des affiches de Grodada sur les murs de ma chambre, le journal de Charlie Schlingo, qui lui aussi est mort brutalement.


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