2008 (interview)

Posté le 04 décembre 2008

 

NTERVIEW

Je m’appelle Jean-Christophe Blin. Je connais Jean-Luc Le Ténia depuis le collège Saint-Louis, classe de quatrième. Je l’ai recroisé à deux reprises: à son concert en première partie des Wampas à la Cigale, et en automne 2008. Lors de cette dernière rencontre dans les rues du Mans, je lui ai proposé une interview fleuve destinée à son site. Il m’a dit qu’il ne donnait plus d’interview, mais qu’il était d’accord pour une ultime interview fleuve avec moi. Histoire de parfaire les interviews qu’il avait déjà données, et aussi parce que malgré tout, il avait envie de parler.

Jeudi 4 décembre 2008

J-C: Ainsi, devant nous, une bouteille de Mouton-Cadet et un paquet de Lucky Strike. Jean-Luc, tu fumes et tu bois toujours?

J-L: Oui. A vrai dire, j’avais arrêté de fumer pendant un an et demi, déterminé à ne plus recommencer. Mais comme je ne suis pas parti cette été, je suis beaucoup sorti dans les bars, histoire de me faire des vacances, du changement. Et j’ai taxé une clope en fin de soirée, puis une autre, et de fil en aiguille j’ai racheté des paquets. Cependant, j’ai projeté d’arrêter à nouveau, j’ai déjà fait un essai, je tâtonne. Quand à l’alcool, je ne pense pas arrêter totalement. Il faudrait pourtant que je me sèvre pendant quelques semaines pour garder la volonté de ne pas fumer.

J-C: Commençons par le commencement: à quel âge as-tu commencé à faire des chansons?

J-L: Je crois que c’était vers l’âge de cinq ans. Mon père avait acheté un magnéto-cassette enregistreur. Après qu’il m’ait expliqué comment enregistrer, j’ai pris le micro sans fil et suis allé dans le jardin. J’ai improvisé une chanson en disant que j’étais un pingouin, puisque j’étais endimanché. Je dansais en chantant devant ma cousine Corinne. Cependant l’enregistrement n’avait pas marché, le magnéto étant dans le salon, les murs et la distance devaient empêcher la transmission avec le micro. Peut-être la frustration de ne pas être parvenu à enregistrer m’a donné l’envie de réussir à m’enregistrer.

J-C: Tu habitais rue Thoré à l’époque?

J-L: Oui, c’est là que j’habitais lorsque nous nous sommes connus. Au 16. Auparavant nous habitions dans un immeuble au 49, mais j’étais bébé et je n’ai aucun souvenir. Mais mon père avait garder la location du garage du 49, si bien que nous allions jouer souvent dans le parking et les caves de l’immeuble.

J-C: Vous étiez combien dans la famille?

J-L: Il y avait mon père et ma mère, ma grande sœur Brigitte, mon grand-frère Emmanuel et mon petit frère Etienne. Il y avait aussi beaucoup d’animaux.

J-C: Des animaux? Lesquels?

J-L: Il y en avait beaucoup, à différentes périodes, c’est difficile de se souvenir tous d’un coup… Il y avait des oiseaux, principalement des piafs. Une tortue de terre, Sophie. On a eu un lapin une semaine, gagné à une kermesse, ma sœur le promenait à la laisse, il faisait des petites crottes rondes. Puis il a disparu, et on a mangé du lapin le dimanche. Plus tard j’ai demandé à mon père si c’était le même lapin. Mon père a répondu que le boucher à qui il l’avait donné lui avait certifié que le lapin dépecé qu’il lui avait donné en échange n’était pas le même. Peu importe, on avait pas eu le temps de s’attacher. Après on a eu Bouffi. C’était un des chats de la chatte de mes grands-parents paternels. Ma sœur avait caché le chaton dans une boite à chaussure, et ne l’avait ouverte que dans la voiture lorsque nous étions sur le trajet du retour. Mon père ne voulait pas de chat, mais il a du l’accepter. Il était très mignon, un chartreux bâtard, au poil blanc avec quelques traces de gris. On l’a appelé Bouffi parce qu’il était bouffi. Quand il était petit il dormait avec moi dans mon lit. Mais en grandissant il ne voulait plus rester avec moi dormir, alors il sortait du lit et il grattait à la porte pour qu’on le fasse sortir. Il grattait la moquette, elle était toute abimée à l’endroit où il grattait. Il avait de grand et beaux yeux bleus. On l’aimait tous. Un jour il a mangé de la mort au rat dans le jardin des voisins, un jardin abandonnée dans une maison inhabitée, où une vieille devait passer de temps en temps, pour mettre de la mort au rats par exemple.

A la mort de Bouffi, je voulais écrire sur le tableau de la classe que mon chat était mort, pour que tout le monde le sache. Mais je ne l’ai pas fait. C’était la première mort importante dans ma vie. Peut-être la plus importante, puisque c’était la première.

J-C: Les animaux reviennent souvent dans tes chansons, c’est quelque chose d’important pour toi?

J-L: Oui, même si je m’y suis moins intéressé pendant mon adolescence. Actuellement, j’ai une fascination pour les oiseaux en vol, j’ai l’impression d’être en contact avec eux. Mais tous les animaux me touchent. La seule différence entre les hommes et les animaux me semble être la faculté des hommes à créer des œuvres d’art. Je ne suis pas convaincu que les animaux n’aient pas la conscience d’eux-mêmes ni du monde. Je suis assez animiste.

J-C: Tu n’es pas resté que sur la chanson, tu as dessiné aussi.

J-L: Oui, je dessinais beaucoup, mes première bandes-dessinées traçaient les aventure de Super-Fourmi. Une fourmi qui avait une épée et qui se transformait en Super-Fourmi. Essentiellement des combats avec des lasers en traits-pointillés, accumulées dans des cahiers à spirales.

J’écrivais aussi. Mon premier roman inachevé était une histoire de voyage dans le temps où les protagonistes se retrouvaient à la préhistoire, la tentation dinosaures. Mon premier roman sérieux, inachevé également, s’intitulait: « le chat clandestin ». Un chat qu’une famille voulait abandonner à la maison pour partir en vacances. Il se glissait dans le coffre en douce et foutait le bordel dans le camping. Un jour au lieu de suivre le cours, en classe de sixième, je rédigeais mon roman, la prof de français m’a donné comme punition de lire un chapitre de mon roman devant tout le monde: une fausse punition évidemment. Il y a toujours eu des profs pour et contre moi.

J-C: Tu étais un bon élève?

J-L: Pas trop. Au-delà des rapports variables avec les profs, il y avait chez moi toujours cette sensation de flou, de difficulté par rapport a des actes aussi apparemment simple comme coller un polycopié dans un cahier. Il y a beaucoup de choses que je ne comprenais pas. Non seulement dans le contenu de ce qu’on devait apprendre, mais également dans la manière dont on nous servait ça. Il y avait beaucoup de choses illogiques. Avec le recul je me rend compte que c’était les méthodes d’enseignements qui ne me convenait pas, je ne savais pas pourquoi on devait apprendre ça, où ça me menait. Mais à l’époque je n’avais pas cette faculté d’analyse, et je baignais dans un flou semblable à ma myopie. Je ne pense pas que j’étais surdoué, mais en lisant des trucs sur les enfants surdoués je me rend compte que j’avais des problèmes similaires. Disons que j’étais un surdoué, mais un surdoué spécial! Je n’ai pas encore compris encore en quoi j’étais et je suis surdoué, mais ce qui est sûr c’est qu’il y a quelque chose.

J-C: Tu penses que tu es surdoué?

J-L: Oui, mais en même temps je suis très bête. Mais il paraît que c’est aussi une faculté des surdoués d’avoir une hyper-perception de leurs défauts! Mais je suis vraiment d’une bêtise à cogner. Je fais vraiment des conneries monumentales, des fois même je sais au moment ou je me trompe que je me trompe mais je le fais quand même. Je suis encore dans le flou. Et en même temps je sais en gros où je vais. Enfin je ne sais pas où je vais mais je sais que j’y vais… C’est bizarre. Des fois même je suis absolument sûr de moi, que je fais ce qu’il faut vraiment faire, un peu comme je peux reproduire à l’identique une note (j’ai l’oreille absolue, je me suis testé à la cité des sciences de Rennes).

J-C: Quelle est la première chanson qui t’ait marquée?

J-L: C’est difficile à dire. Il y avait sûrement les berceuses de ma mère, ou les chants à la messe. Mes premiers disques étaient les fabulettes d’Anne Sylvestre: « C’est un veau », « Bel escalier », « L’oiseau debout »… Le premier 45 tours que j’ai demandé qu’on m’offre était: « La danse des canards ». Il y a eu beaucoup d’autres chansons, durant toute mon enfance. J’ai commencé à acheter des cassettes au collège, et des vinyles, que je copiais sur cassettes grâce à la platine de mon frère Emmanuel. Il y avait aussi les 33 tours de mes parents: « Salut les copains », les trucs pour cathos, et aussi une version expliquée aux enfants de: « La flûte enchantée », qui me paraissait très bizarre… les personnages avait des noms et des habits bizarres, pourtant l’histoire semblait banale. Papageno, c’est un prénom bizarre. Je crevais les membranes derrière les trous des enceintes. C’était comme le papier-bulle: impossible de résister. Mon père a toujours eu le souci de nous initier à la musique classique, probablement pour combler un manque de son enfance. D’où les cours de piano, avec Madame Legout, au Vieux-Mans. Les cours de solfèges c’était par le comité d’entreprise des Mutuelles du Mans, où mon père travaillait. J’étais plutôt mauvais en dictée musicale. Parce que je n’arrivais pas à faire le lien entre le son et l’écriture/lecture des notes, j’imagine, puisque je devais déjà avoir l’oreille abolue. Remarque, je ne sais pas, peut-être que l’oreille absolue ça s’acquiert. Je me souviens qu’au solfège il y avait une fille diaphane avec d’énorme lèvres pulpeuses. Avec un des profs on avait étudié: « Pierre et le loup », on a appris les rythmes. Il me semble avoir revu ce prof à la médiathèque, avec des santiags et une perruque, qu’il devait déjà avoir à l’époque, mais ça me semblait normal. Si c’était bien lui, je me demande s’il m’a reconnu, s’il sait ce que je suis devenu.

J’ai laissé tomber les cours de piano dès que je n’ai pas réussi à passer à l’année suivante, soit en deuxième ou troisième année. C’était bien fini, pour moi, la musique.

J-C: Mais ce n’était pas fini, pour toi, la création!

J-L: Non, mais ça me semble normal qu’un enfant joue, sous toutes ses formes, organise des jeux, dessine, chante, fasse des parcours militaires, soit un agent-secret, un super-héros, un clown, un poète, un roi caché, un pilote de chasse. Un bandit, un policier, membre d’une société secrète, un champion, un coupable banni. Ça peut sembler moins normal qu’on continue à être tout ça devenu adulte. Pour moi il n’y a jamais eu de véritable changement. Même les poils de la puberté ou la première goutte de sperme, avec le recul, me semble participer de la même féérie floue. Je crois que pour beaucoup il n’y a pas eu non plus de véritable changement, mais plutôt une spécialisation.

Dimanche 14 décembre 2008

J-C: Bon, Jean-Luc, j’ai cru comprendre que tu étais un peu fatigué aujourd’hui, mais comme tu es d’accord pour continuer un peu l’interview, allons-y!

J-C: T’intéresses-tu à tout?

J-L: Non, je ne m’intéresse pas à tout, dans le sens ou je n’aime pas tout au même niveau. Et c’est quelque chose qui me sépare d’ailleurs de beaucoup de gens. Car le discours dominant, c’est de dire que chacun à ses goûts et ses couleurs, qu’il n’y a pas d’œuvre d’art belle ou laide en soi, que c’est subjectif etc… Mais même ceux qui disent ça ne le pense pas vraiment. C’est juste un discours consensuel qui permet aux gens de ne pas se taper dessus. Mais ce même discours empêche également aux gens d’évoluer, d’affiner leurs goûts et leur esprit critique. Si, par exemple, une institutrice qui demande à ses élèves de faire un dessin, fini par leur dire à tous que leur dessin est joli alors qu’elle sait très bien qu’il y a des dessins plus jolis que d’autres, pensera sans doute encourager ainsi tous ses élèves. Mais elle oublie qu’elle décourage celui qui sait qu’il a fait un dessin vraiment joli, car il se trouve ainsi rabaissé au niveau de ceux qui ont fait des bouses.

Alors que si l’institutrice montre vraiment les qualités et les défauts de chaque dessin, les élèves pourront ainsi véritablement s’améliorer.

Mais une institutrice est elle vraiment autorisée à agir ainsi? Et surtout, une institutrice est-elle toujours habilitée à juger le talent et les capacités de ces enfants?

L’élitisme est une notion décriée. Pourtant, ce sont les meilleurs, les plus doués, qui trouvent les meilleures idées. En encourageant la médiocrité et le manque d’initiative, on se prépare à une société médiocre et dominée. La croyance que de toute façon les enfants les plus intelligents finissent toujours par s’en sortir grâce à leur intelligence, et qu’il ne sert à rien de s’en occuper est fausse: plein d’enfants bourrés de potentiels finissent complètement étouffés. De plus, on n’aide pas vraiment les moins intelligents aujourd’hui dans l’éducation, puisque plein d’enfants arrivent au secondaire en sachant à peine lire et écrire. Le résultat est que de toute façon c’est toujours l’élite qui commande les autres, sauf que l’élite est moins bonne.

Je suis sûr qu’il y aurait quasi-autant d’enfants sachant lire et compter qu’aujourd’hui sans aller à l’école, rien qu’avec la transmission de leurs parents.


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