1995 (cahier)

Posté le 31 décembre 1995

1

La voix me dit :

-Prends ton stylo.

Je lui réponds

en prenant, simplement, mon stylo.

La voix continue :

-Ecris, maintenant.

Je m’arrête, je lui demande :

-Comment ? Quoi écrire ?

Mais la voix ne me répond pas,

elle n’a pas d’oreille.

Le stylo laisse une trace, je commence

un mot, au hasard, le reste suit,

c’est du n’importe quoi.

La voix me félicite :

-C’est bien continue comme ça.

Je l’emmerde, mais je lui obéis.

2

La Reine m’a convié ce matin, devant l’Arc de triomphe, et on ne refuse pas l’invitation de la Reine.

J’étais en train d’honorer ma femme, quand ce fut l’heure. Je me retirai, en regardant ma montre :

-Excuse-moi, chouchoute, mais je dois y aller.

Elle pleure, tente de me retenir par le piège des sens.

Mais elle se donne de la peine pour rien.

Je noue ma cravate en la repoussant doucement (je ne suis quand même pas un rustre).

-La Reine m’attend, je te dis !

Dehors, le Soleil semblait m’attendre. « C’est gentil, je lui ai dis, mais je n’ai pas temps à te consacrer pour l’instant ».

Le Soleil faisait semblant de ne pas m’entendre.

L’Arc du Triomphe s’ouvrait devant moi, véritables jambes ouvertes sur le mystère féminin. La Reine, habillée ridiculement comme il se doit, m’accueillit à grand coup de rouge à lèvre graisseux.

-Ah, Léo, me cria t’elle, apparemment très heureuse de ma venue, vous êtes même en avance !

3

Ce soir, c’est ce soir qu’auront lieu mes fiançailles !

Que je suis heureux, que le ciel est bleu, que mon cœur chante un bonheur infini !

Je danse, je siffle, je sue un peu, mais ça ne sent pas, parce que j’ai mis du déodorant.

Ce soir ! C’est ce soir !

Mes yeux passent de sa photographie au petit écrin où repose le petit anneau d’argent.

4

De loin, les enfants apercevaient leur père en train de faire l’imbécile sur ce plongeoir improvisé au dessus du lac.

5

Le serpent bondissant ne surprit pas le daim, qui l’esquiva et atterrit les quatre sabots joints sur sa gueule.

6

prise de courant, soleil de plomb, vitesse supérieure, ville promise, terre brûlée, paupières asséchées, voisin gros, vélo rouillé, chaste petite fille.

7

Elle était belle, cette petite fille, avec ses habits miniatures mais pas engonçants. Elle était fraîche, et me souriait, sans même me connaître.

8

La vitesse ne m’effraie pas. Les images défilent et disparaissent derrière mon crâne. Je ne distingue même plus ce qu’elles représentent. Je ne perçois plus que le mouvement.

9

Le sang s’écoule le long de la patte du lapin pris au piège.

Je le regarde se débattre.

J’aimerai bien l’aider, mais je ne peux pas bouger, je me sens obligé de l’observer.

Le spectacle de cette lutte (plus le lapin bouge et tente de fuir, plus le piège le blesse et le retient), ce spectacle me fige et me fascine, me plonge dans un état second, et ce n’est qu’en prenant un recul délibérément plus grand encore que je récupère la maîtrise de mes actes.

J’empoigne assez facilement le lapin, tire un bon coup, sec et violent, ce qui a pour conséquence de trancher la patte du lapin, et l’emmène chez moi, pressé contre mon corps, en lui léchant le museau.

10

La dame à la robe bleue n’arrête pas de me tourner autour. Je ne lui en veux pas, mais je commence à avoir la nausée. Sans désespérer, je lui tends régulièrement un bol en lui demandant quelques pièces, qui ne viennent jamais.

11

Un œuf à la coque dans une casserole d’eau bouillante. Je le fixe un instant. Des marques se distinguent sur une partie de l’œuf. Je m’approche et me rend compte qu’on y a dessiné deux yeux et une bouche. Juste à ce moment, je ne vois plus rien. Je tâte mon visage en y cherchant désespérément les reliefs de mes yeux et de mes lèvres.

12

Les pages de mon cahier se déploient, se détachent, tandis que dehors la pluie résonne. Mes volets sont fermés, mes yeux ouverts, mon cœur fermé, mon cahier ouvert.

Et dehors n’existe pas, la pluie pourtant est dehors. Je n’y crois pas vraiment.

13

L’ampoule a tendance à m’éblouir, je ne l’éteins pas, je la fixe, comme si j’attendais fièrement qu’elle daigne baisser les yeux.

14

Je ne me sens libre qu’enfermé. Dans ma chambre, il ne fait pas très chaud, il me faut une paire de grosses chaussettes. Et dehors, le vent (auquel je ne crois pas) résonne.

15

Je frappe mentalement contre les parois de mon crâne. Je l’appelle, elle ne le sait pas ? Je cris, les parois doivent donc être insonorisées, parcequ’elle ne me répond pas.

16

Je penche le pichet d’eau et le pichet lui-même est constitué d’eau qui se déverse. Même l’anse que je tiens finit par se liquéfier et coule sur le plancher, pour s’étaler et être absorbée lentement.

17

Je nettoie mes lunettes, mais il reste à chaque fois une trace, toujours différente.

Le verre finit par être troué à force d’être frotté.

18

Longue est sa robe, longs sont ses cheveux. Je ne sais pas lequel des deux tenir hors du contact du sol salissant.

Longue est sa robe, longue est sa chevelure. Je ne sais laquelle des deux tenir pour la porter hors du sol poussiéreux.

19

Le renard bondit, happe l’air, faisant claquer fort ses crocs. Toute la forêt a semblé se recroqueviller de peur sur elle-même.

20

J’épaule ce lourd fusil de plomb que l’on m’a offert pour mon passage à l’âge adulte.

21

L’hélicoptère s’écroule dans un fracas éblouissant juste devant ma chambre. Pendant quelques heures je n’entendis plus la résonance de cette pluie interminable, au dehors.

22

Je me frotte contre la moquette, qui brûle ma peau nue. « Pourtant je suis sensuel, pourtant je suis sensuel ! »

23

L’ombre de mes doigts sur l’autre main.

24

Certains de mes postillons sont freinés par mes dents de devant.

25

Je ne suis pas celui que je voudrais être, et je m’en torture l’esprit, mais jamais autant que celui que je ne suis pas.

26

Le pire étant passé, Léo lissa ses moustaches en regardant avec satisfaction et tranquillité ce qu’il restait du paysage après le passage de ces deux animaux féroces et hargneux, qui l’avaient fait trembler plus qu’il n’aurait cru pouvoir le faire.

27

L’aileron du requin tourne autour de lui-même puisqu’il est pris dans un tourbillon, pendant qu’au loin on aperçoit le cerf-volant qui semble immobile dans le ciel.

28

Le pantalon de Samuel ne cesse de tomber. Il a beau l’attacher, serrer sa ceinture plus qu’il ne peut le supporter, le tenir des ses mains, y fixer des bretelles, il tombe quand même.

29

Nous sommes trois à prendre l’ascenseur. Il y a la belle secrétaire, aux fesses trop basses à force d’être assise, qui dégage une forte atmosphère sexuelle et lascive, liée à l’immobilité de son métier.

Il y a le liftier, qui ne sert à rien, mais qui n’en sent pas moins la sueur.

Enfin, il y a moi, visiteur éphémère de ce célèbre immeuble, gêné par le poids de mes clefs dans la poche droite, et la présence de ma montre dans celle de gauche.

30

La vieille folle a décidé de se pendre. Elle va chez l’épicier, lui achète une corde de vingt mètres, car il lui en restait justement une. Elle ne mit pas trop de temps a retrouver la manière de nouer la corde, et se la passa lentement autour du cou.

Ce n’est que lorsqu’elle se sera jeté dans le précipice, durant sa chute, qu’elle s’apercevra qu’elle aura oublié de fixer l’autre bout.

31

Regardez ce chien pouilleux qui se sauve le filet de saucisses entre les dents. Voyez maintenant cette tache sombre qui s’approche rapidement. Constatez que c’est un dragon des plus costauds qui flappe la gueule ouverte vers le chien.

32

Un petit peu de café au creux de sa main. Je m’en approche, doucement pour ne pas le faire fuir. Puis je lape violemment le café, tentant d’en avaler le plus possible. D’abord surprise,elle reprend ensuite la maîtrise de ses actes et me repousse en colère, la main collante de ma salive visqueuse.

33

J’ai le choix (et je n’aime pas ça) entre deux vestes à mettre aujourd’hui. Je téléphone à mon pote le Dragon.

-Salut Rickie, tu viens m’aider à choisir, s’tauplai ?

Aussitôt, Rickie flappe vers moi, ce que je ressens par l’approche progressive d’une masse de chaleur.

34

Hector, fier de son nom, fier de lui-même, fier de son état, prend dans le réfrigérateur une plaquette de 500 grammes de beurre (demi-sel), et le pose dans une petite poêle, qu’il s’empresse de mettre sur le feu.

35

La langue de bœuf règne sur une table de la cuisine. Emmanuel la regarde, à la fois dégoûté et fasciné. Il observe clairement les petites aspérités, les nombreuses papilles jadis gustatives, et surtout, à une des extrémités, les bourrelets de chairs entourant les veines, nerfs coupés, muscles sectionnés.

36

Il observe, indifférent, ses doigts de pieds.

L’arbre sur lequel il est appuyé se déracine soudain et s’envole à quelques centimètres du sol.

Mais il s’en fiche, car il est toujours à l’ombre de cet arbre.

37

Curieux, je suis dans un vaisseau spatial (et Dieu sait à quel point les vaisseaux spatiaux me gonflent). Tous ces boutons m’en donnent, je ne sais quoi en faire.

Je m’attends à tout moment à voir surgir un homme habillé de matières plastiques enflées et ridicules.

38

Hector se jette sur le tigre, le déchiquette des ses ongles soigneusement coupés, curés et peints.

39

La vitre se brisa sous l’impact de la pierre jetée violemment à travers. Les gens qui étaient dans la pièce fixèrent tous, immobiles, la pierre qui maintenant flottait sur un axe imaginaire au milieu de la chambre.

40

Je tombe à genoux devant l’éclat de ce bateau, le plus beau de tous, celui qui m’attire.

41

J’évite de justesse un rayon de soleil qui s’était voulu caressant.

42

Elle n’a pas l’air de se sentir très bien. Mais pour moi, c’est quand même très bien qu’elle en soit là. C’est dommage d’en arriver à penser comme cela, c’est certainement de l’égoïsme, mais peu importe pour moi ce qu’elle ressent. Au bout du compte, seule sa présence me tient à cœur.

43

L’air frais rentre dans mes narines et juste là ; à part cela j’ai trop chaud.

44

La chaleur du sang qui recouvre mon visage me fait fermer les yeux de plaisir. Le rouge envahit ma vision, et quelque chose de sourd et d’enivrant grandit au fond de ma tête. Je sais que c’est la mort qui est au bout, et j’aime ça.

45

Et maintenant, et c’est normal, je devais m’y attendre, j’ai les mains qui s’imbibent peu à peu de leurs propres sueurs. J’ai les mains moites, je n’ai aucun pouvoir là-dessus. Au moment où j’écris ceci, un léger vent frais vient me les réconforter.

46

Il vide sa poubelle du haut de son huitième étage, quelques peaux d’abricots restent collées au fond. Il a beau taper, elles ne tombent pas.

47

Je ne sais encore comment faire pour que cela paraisse naturel et qu’elle ne se sente pas agressée, trop désirée, mais je veux lui donner mon petit cadeau, j’espère que cela lui apportera quelques vitamines.

48

Mon slip sur la tête, je m’en vais combattre tous les extra-terrestres, d’apparences et d’attitudes mesquines, qui voudront m’empêcher de descendre les escaliers qui me permettront de prendre mon déjeuner soigneusement préparé par ma mère.

49

Je tiens le canif par la lame, le serre de toutes mes forces. La lame est émoussée, pourtant je parviens à la faire pénétrer dans ma chair, jusqu’aux os, qui ne la bloquent qu’avec peine.

50

Trois mois que Bobby croupit dans ce sous-marin, ah faut vraiment pas être claustrophobe.

51

A chaque fois que Marie-Laure est blessée, elle refuse de se faire poser un pansement, car elle déteste le moment où il faut le décoller.

52

C’est l’histoire d’un vieil ermite qui pour se chauffer lors d’un très rude hiver, se crut contraint de brûler sa petite cabane.

53

Mon pneu a crevé. Je tente de canaliser et de mettre en second plan le cafard que je sens grandir en moi.

54

Est-ce que cette eau est potable ou pas ? Laurent ne se pose pas trop la question quand il la boit. En même temps il ferme les yeux, transformant ce qu’il fait en rêve, n’y croyant pas vraiment, n’ayant plus de raisons véritables d’avoir peur. Il se crée des illusions, l’eau des rêves est toujours potable.

55

Il la suit avec inquiétude depuis pas mal de temps. Il se camoufle à sa vue, ne veut pas la gêner, juste savoir si elle ne va pas faire de choses regrettables.

56

Un des deux siamois tire sur la membrane de chair et de peau qui le rattache à son frère.

57

Autour du poteau flappe Rickie le dragon, bien gros, chaud, pataud.

58

Des milliers de coulées de lave se seront déversées sur ces collines avant que tu n’y aies posé les pieds.

59

En slip de bain, il plonge dans l’eau. Le chlore lui pique les yeux qu’il ne peut s’empêcher d’ouvrir dans cet air palpable où il s’enfonce, de moins en moins vite, pour remonter flottant, en se cognant, en se cognant malgré sa vue contre le derrière gras et ici pourtant léger d’une bonne femme teinte.

60

Le petit caniche noir jappe, le soir, toujours à la même heure, même quand il y a le décalage horaire d’été ou d’hiver.

61

Ce soir, l’air n’est peut-être toujours pas pur, mais indiscutablement chaud. Je vais me coucher, oublier que je pourrais moi aussi être un de ces gens heureux de se promener, de rire et de parler fort dans toutes les rues du monde entier (enfin je suppose).

62

Troisième jour : le lit est moite, ne réchauffe plus qu’un plat déjà chauffé et réchauffé, et ce plat est mon corps malade, que ma mère s’empresse de revigorer à coup de grosses cuillères à soupe de sirop.

La cuillère est toute collante, les draps le sont également ; par la fenêtre, je vois toujours les même fils électriques lentement balancés par le vent. Et elle qui s’en fout, a tout oublié de ma bêtise.

63

Il fait tourner la casserole vide, la pose en rythme sur la gazinière et la remplit de lait demi-écrémé. Il n’a pas mit la radio, mais c’est une belle journée, la musique du temps et de la vie le porte vers une danse minable, mais très agréable, et il en profite, car hier…

64

Je le sens, les extraterrestres veulent ma peau. Ils veulent en faire des blousons de cuir pour les extraterrestres chébrans.

65

La dernière fois, quand les extraterrestres m’ont poursuivi, j’étais au mieux de ma forme, je te les ai largués, ils n’ont dû y voir que du feu. Encore vivant que je suis, et ils ne m’auront pas de si tôt. Je me nourris, dors, m’entraîne, impossible de rattraper un homme aussi alerte que moi.

Comme ils courraient ! Inutile, je les ai semés.

Ces extraterrestres se croient tout permis. Sous prétexte qu’ils sont laids, verts, voraces, il faudrait se laisser attraper aussi facilement que ça !? Ah, non, pas question ! Plutôt courir jusqu’au bout du monde avant de tomber dans leurs filets, leurs filets de bave. Ah, qu’ils sont moches, ces gros visqueux. Je ne sais pas depuis quand ils ont débarqué. Mais aujourd’hui, la question n’est plus vraiment de savoir quel âge a le capitaine.

Ah, mais attendez, pendant que je vous parle, ils sont peut-être en train de me tendre une de leurs embuscades de premier degré. Quelle bande de novices ! Ah, il leur faudrait une bonne guerre, à ces verts couillons.

66

Julie (quel nom casse-bonbon, je sais, désolé), aimait particulièrement passer ses jeudis soirs dans la cafétéria de la patinoire à glace. Elle sirotait son sirop.

67

C’est un de ces maux de ventre qui empêche toute concentration, qui fait passer le temps plus vite, par une sorte de mise en coton de la pensée ; et ceci ne prendra même pas fin lorsque je serais aux toilettes.

68

La bique broutait, le ciel au-dessus était bleu, et le sol en dessous était vert, les troncs d’arbres marrons et mes fesses ocre-beiges.

69

Lorsque j’ai des problèmes gastriques, j’ai mal à la tête. Les deux sont liés : le ventre et le cerveau, la matière et la pensée, mais au bout du compte, c’est la matière qui gagne, car toutes mes pensées sont concentrées sur cette envie de chier.

70

Il passe et repasse sa main sur la flamme de la bougie qui est éteinte depuis longtemps.

71

Distrait par le son des guitares électrifiées, incapable de toute concentration, l’esprit dispersé pour l’oublier. Je ne veux pas me relancer dans le gros potage au vin des histoires d’amour, je marche sur le bord fin de l’assiette creuse, je tourne autour de la soupe.

Pas loin de moi, j’aperçois un verre rempli d’eau fraîche. Je sais qu’il vaudrait mieux l’eau fraîche.

Mais je crois que je voudrais l’amour.

72

Le fou grassouillet a une vois si déchirée, un cœur tellement heurté, des chansons si touchantes que je ne le vois ni fou ni grassouillet.

73

L’homme-caméléon élance sa langue en direction d’une guêpe, qui lui pique une de ses papilles gustatives de son dard empoisonné.

Il crache, il crache, mais pas le poison.

74

Il lui crie dans l’oreille, elle ne comprend pas ce qu’il dit. Il chuchote, mais elle a les tympans crevés et ne saisit pas non plus ce qu’il lui dit.

75

Il voyait la beauté de cette fille, la désirait comme un fantôme qui marcherait à ses côtés ou face à lui, d’une allure lente, flottante.

76

Dix pièces de monnaies tombent une à une dans ma main gauche, je les compte au fur et à mesure qu’elles s’empilent.

77

Depuis quelques heures déjà le bateau tanguait invariablement sur un océan dont j’ai oublié le nom, bien qu’il ne soit même pas certain que jel’aie su un jour. Le mal de mer, qui d’ailleurs aurait ici dû être appelé mal d’océan, ou peut-être pas ; je sors du sujet, là, je le sens bien…

78

Encore une petite fille qui me sourit aujourd’hui sans que l’on ne se soit jamais parlé. J’ai ce charme agréable sur les petites filles, et je les trouve elles-mêmes charmantes et terriblement jolies.

L’autre jour, je sonnais, et une petite fenêtre s’est ouverte sur une splendide tête de petite fille souriante. Etrangement, je me suis mal comporté, lui ai parlé sur un ton froid et robotique ce qui l’a effrayé. J’étais trop omnibulé par la raison de ma venue que je m’étais refusé de céder à son charme.

Je lui ai fait peur. Pour elle je n’étais pas beau, j’étais un danger ; j’en étais vexé et honteux, je le suis encore.

Avoir fait venir une ombre sur son visage, c’est une terrible manière de m’apercevoir de tout le mal dont je suis capable.

79

Julie, donc, sirotait son sirop dans la cafétéria ringarde de la patinoire à glace, en observant d’un air vaguement attentif les patineurs, qui sans vouloir ridiculiser la chose, patinait en rond dans le même sens, sans trop savoir s’ils avaient l’air con ou pas. S’ils ne patinaient pas tous dans le même sens, la sécurité, et donc le plaisir de patiner ne seraient plus assurés.

Si Julie aimait à regarder cette bande de patineurs novices, c’est qu’elle était patineuse professionnelle, une véritable célébrité mondiale, mais comme elle s’était mise du maquillage sur la tête il était difficile de la reconnaître. De voir une patinoire ainsi encombrée la faisait bondir de liberté lorsque le lendemain elle avait cette patinoire pour elle toute seule, pour son entraînement personnel de patineuse très célèbre.

Julie rêvait aussi du grand amour. Le vrai, celui avec un grand phallus.

Elle ne désespérait donc jamais de rencontrer ici le patineur amateur aux jambes d’acier, au sourire de publicité pour dentifrice et aux petites fesses bien rondes pour bonnes femmes nymphomanes dont elle faisait partie.

La nymphomanie s’était déclenchée chez elle à l’apparition des premiers poils pubiens, et la seule échappatoire possible à ses bouffées de chaleurs était d’aller se refroidir l’entrejambe sur une piste de patinage sur glace.

Elle avait tellement besoin d’un bon gros phallus qu’elle devait franchement se dépenser dans ce sport, et c’est ainsi qu’elle gravit un à un les échelons du succès et de le renommée. Cependant, malgré toute l’ardeur qu’elle mettait à patiner, elle passait tout de même la moitié de la nuit à se remplir les parties génitales de toute la générosité masculine qu’elle pouvait avoir sous la main.

Elle était doté d’un appétit et d’une imagination telle que quiconque arrivait à tenir une demi nuit avec elle, restait encore sous un après-coup orgasmique pendant environ une semaine.

Beaucoup perdirent leurs jobs et leurs vies familiales après être passés sous la maîtresse absolue du sexe qu’était Julie.

(Je sais, Julie, ça craint un peu comme prénom, dit comme ça. Qu’est-ce que vous voulez ? Que je lui donne un nom de famille ? Julie Mihidi, ça vous va ?)

Julie Mihidi, malgré sa grande pratique sportive, avait gardé un corps étonnamment féminin, et la simple vision des mouvements de ses lèvres pouvait mettre en état de désir intense un contrôleur S.N.C.F. (pourtant, un contrôleur de ce type n’est pas très ouvert aux effusions).

L’odeur légère, et pourtant perceptible des alentours de son sexe mettait dans un état second n’importe quel homme. On a même vu un enfant de quatre ans, jusque là sage comme la photographie d’une image, regarder Julie Mihidi avec des yeux brillants de lubricité. (Aux dernières nouvelles, ce petit garçon, âgé maintenant d’une vingtaine d’années, serait producteur luxueux de films pornographiques incandescents).

Malgré tout cela, Julie Mihidi gardait quelques bribes de sentimentalité, et lorsqu’elle voyait passer des nuages, elle s’amusait à trouver à quoi ils ressemblaient (et ce n’était pas forcément sexuel). Par exemple, une fois, un nuage légèrement rosé par la fin de journée lui fit penser à un coq, et elle passa le reste de la soirée à développer l’histoire de ce coq. Je ne vais pas vous retracer l’histoire de ce coq. Juste la fin pour vous donner une idée de la chose : « Le pauvre coq fut ainsi mangé goulûment par toute la famille des petits ours, sauf l’aîné des fils qui tentait encore de démêler les nœuds de ses poils sucrés par la théière renversée. »

Où est la sentimentalité là-dedans ? Et bien elle avait donné un diminutif à chacun des personnages de son histoire, ce qui n’est pas rien !

De plus, à chaque fois qu’un épisode de : « Magnum » était diffusé à la télévision, elle ne pouvait s’empêcher de pleurer lorsqu’Higgins parlait dans le vide parce que tout le monde s’en fichait. Elle se disait : « le pauvre Higgins, c’est trop triste, tout le monde s’en fiche de ce qu’il dit… »

Je me doute que vous aussi vous fichez de ce que je vous raconte. C’est bon, je n’insiste pas. Mais n’oubliez jamais son nom : Julie Mihidi. C’est un bon tuyau.

80

Les tulipes n’en finissaient plus d’être arrosées, Jean-Claude aimait ces fleurs par-dessus toutes, et ne s’était jamais rendu compte qu’il était célibataire de naissance.

81

Trois litres d’eau absorbés en deux minutes, Philippe Gardon sentait un léger poids quelque part dans son ventre. En attendant la suite, il fit quelques échauffements de vessie.

82

La fermière devait comme chaque soir rentrer ses cochons dans la salle de séjour, où ils tournaient en rond dans des cercles de plus en plus serrés avant de se coucher, sous l’œil unique et malveillant de la télévision.

83

C’était un matin minable, avec le robinet qui fuyait, un des deux chaussons qui était égaré, un mal de tête sourd et persistant, un petit courant d’air glacé désagréable sous la plante des pieds, une porte d’étagère qui grince, le lait qui déborde et un doigt coupé par le couteau à pain sous l’effet de la surprise de la sonnerie du téléphone mêlée à celle de la porte d’entrée, tandis que votre femme se ramène avec la figure dans un état déplorable et une haleine vomitive, et qui braille parce qu’elle vient de se cogner le petit orteil droit contre un coin de mur, et la lumière du soleil qui vient enluminer la cuisine d’une manière tout à fait agaçante et narguante, et l’impossibilité de retrouver le confort sécurisant du sommeil, dans son lit douillet.

84

La jungle moite, l’avion rapide, le volcan éteint, la lune effacée, la barrière de bois vert, le yo-yo emmêlé, le sourire qui s’efface, les lèvres gercées, la coccinelle écrasée, le kangourou bondissant, le slip puant, la vaisselle brillante, l’homme sourd.

85

La peur inutile, l’angoisse persistante, l’oignon à éplucher.

86

« Oh, pauvre Jean-Luc, personne ne veut danser avec toi. »

-J’en suis moins peiné que toi.

87

Ils me trouvent mal poli parce que je ne leur rends pas leur sourire, alors que c’est parce que j’ai les lèvres gercées.

88

J’ai dix-neuf ans, et je continue à être étonné par les gauchers.

89

La venue de cette fille m’avait autant surpris que plu, et en me baissant en signe de reconnaissance une petite branche se plia et me fouetta l’œil droit. Oubliant aussitôt la fille, je massais tout de suite mon œil qui ne tarda pas à s’humecter de larmes. Puis, de mon œil gauche je regardais de nouveau ma visiteuse. Elle s’excusa, comme si elle était la cause de cet incident. Je lui souris malgré mes lèvres gercées, et l’invita à s’asseoir avec moi dans l’allée où nous nous trouvions, puis elle se mit à vérifier si mon œil était abîmé.

J’étais très gêné, car elle était si belle que je désirais la regarder avec mes deux yeux, et que cela n’était pas possible.

Je lui dis qu’elle avait (que nous avions) une chance grande que ni mes parents ni mon frère soient à la maison. Elle me répondit qu’elle comptait beaucoup sur la chance. Je lui répondis à mon tour que j’avais un ami qui lui aussi comptait beaucoup sur la chance. Je ne rajoutai pas qu’il était mort dans un accident de voiture, car je me serais écoeuré de profiter de la mort d’un ami pour la séduire. A dire vrai, je ne tentai pas de la séduire, car mon œil me faisait encore assez mal, ce qui m’empêchait d’ avoir un comportement feint.

90

L’enfant posa la dernière carte de son château de carte, lorsque son petit frère vint lui demander s’il voulait bien faire une « bataille » avec lui.

91

Elle se peint les ongles, elle se peint la peau, et moi, je la peins.

92

La difficulté à laquelle Marius était confronté n’allait pas lui faciliter la vie. Les trois délinquants qui la menaçaient de mort n’en voulait pas qu’à son argent. Ce qu’ils voulaient, c’était qu’il leur donne raison, qu’il soit des leurs.

93

Quand j’observe des jeunes de mon âge qui s’envoient des filles après avoir bu à des soirées, je rigole intérieurement. Ces filles devraient plutôt venir me voir, car d’abord je me les enverrai et ensuite je boirai. (Je parle au conditionnel bien entendu).

94

Le bourdon était en train de cogner inlassablement contre une des vitres de la cuisine de monsieur Alberti, qui coupait ses oignons de la manière la plus simple et apparemment aisée qui soit.

95

L’aventurier, avec sa barbe de trois jours, cramponné au toit du train qui fonçait à toute allure vers le pont qu’on venait de faire sauter, se demandait ce qu’il faisait là.

96

La voie était libre, Bertrand Spinal, le grand spéléologue, s’y engouffra le plus sexuellement possible.

97

Cinq slips sur la tête, Bertrand Spinal le spéléologue étant dorénavant un peu bête, ne répondait à aucune question.

98

Bertrand Spinal, grand spéléologue de son état, s’était sorti de sa mauvaise passe. Il avait maintenant une sympathique barbe de trois jours et décida par conséquence de devenir un aventurier, un vrai, un qui combat les méchants voleurs de grandes surfaces.

99

Le spéléologue Bertrand Spinal s’était reconverti dans le métier d’aventurier de grands chemins, pour lutter contre les bandits de grands chemins, et admirer les immenses étendues désertiques au passage, qui lui donnait un avant-goût de ce qui l’attendait à la sortie.

100

Joe Machalou, efficace (bien qu’encore inconnu) savant fou mais pas si fou que ça, avait comploté un plan diabolique (mais quand même scientifique) contre son ennemi juré de toujours : Bertrand Spinal, qui auparavant avait exploré les plus mystérieuses grottes de la terre, en tant que spéléologue professionnel.

101

Bertrand Spinal, aventurier à la barbe de trois jours (il avait un rasoir étudié pour), se tenait toujours prêt au cas où le savant fou Joe Machalou, plus connu sous le nom de Joe Moule, le vendeur de moules sur la place piétonne du centre-ville, au cas où ce savant fou comploterait un plan terriblement subtil et infernal à son encontre.

Justement, Joe Machalou, encore tout couvert de l’odeur des moules qu’il vendait, étendait peu à peu sa toile d’araignée autour de Bertrand Spinal, qui était en train d’effectuer un voyage d’aventures glacées au pôle Nord. Spinal se trouvait donc dans son jet privé qu’il s’était bricolé lui-même en grande partie. Il avait pensé aux plans de ce jet spécialement adapté pour ses activités en se rasant, devant sa glace brisée et sale (essayez donc de laver une glace brisée). Bertrand tenait d’une main sûre son manche à balai et de l’autre son chapeau, car malgré son cerveau développé et vif il avait oublié le cockpit, quand il arriva au dessus de l’immense iceberg où, lui avait-on dit, il y avait de quoi faire.

Il gara son jet privé, enclencha le frein à main, et sauta à pieds joints de ses pataugas cloutées sur la glace solide et glissante.

Il regarda lentement autour de lui afin de se familiariser avec ce nouveau milieu.

Soudain, un ours polaire lui sauta dessus dans un rugissement effroyable à fissurer la glace pourtant aussi impénétrable que les voies du Seigneur. Bertrand le tua, et entreprit de se faire un manteau de fourrure vite fait, bien fait.

102

Grâce à un habile jeu de miroir, Joe Machalou observait les actes de Bertrand. Joe fronça les sourcils. Cet ours était venu au mauvais moment et avait contrecarré tous ses plans. Il entreprit de boire une bouteille d’une liqueur de son invention, et les yeux rougeoyants de cet alcool brûlant, il ré-agença toute sa toile d’araignée.

103

Bertrand, de son côté, avait totalement oublié le savant fou, et se sentait fin prêt à affronter les aventures du pôle Nord maintenant qu’il s’était échauffé en tuant l’ours. Cependant, il estimait que les poils de son nouveau manteau de fourrure étaient trop longs, et décida de les raser à l’aide de son rasoir étudié pour.

104

De l’autre côté, à travers tous ces jeux de miroirs, le savant fou grinça des dents avec un bruit d’ongles que l’on crisse contre un tableau.

« Mais que fait-il ? Oh non ! Cela bouleverse une fois de plus tous mes plans. »

105

Ce Bertrand Spinal était vraiment insaisissable.

106

Loïc appréciait lorsque le matin il faisait le poirier et qu’un rayon orangé de soleil enluminait partiellement sa chambre.

107

La pile de magazines minables posée sur la table de la salle d’attente faisait sentir encore plus l’attente.

108

N’arrivant pas à dessiner l’oiseau qui volait, Loïc, dans un geste de profonde tristesse, ratura ses dessins. La rature formait la courbe parfaite de l’oiseau en vol.

109

Le dragon flappe vers moi, je l’accueille sur mon doigt.

110

Un peu de yaourt dans la cuillère, dans le pot il y a un creux, Loïc met du sucre dans ce creux et replace le yaourt dessus.

111

En haut du mat, à la place du traditionnel drapeau, il y a un homme. Il est accroché de ses bras tendus, il est de tout son corps parfaitement perpendiculaire au mat. Il tournicote.

112

La gifle qu’elle reçue ne la marqua pas. Elle ressentait juste une vive brûlure, et ce pendant quarante années.

113

Loïc entreprit d’écrire une lettre à son meilleur ami. Comme il n’avait pas envie de faire un rapport de ce que lui était arrivé, il laissa le stylo glisser et de temps en temps il glissait un élément de réalité. Le tout ne plut pas à son meilleur ami. Loïc se demanda s’il n’était pas un peu bête.

114

Il avait peur des carottes. Heureusement qu’il n’en voyait jamais.

115

Le chat traverse lentement la rue ensoleillée, comme si aucune voiture n’était passée et ne passerait jamais par là. Il se laisse caresser par la chaleur du soleil sans y penser.

116

Six ou sept pigeons étaient tombés raides morts devant Laurent qui faisait sa promenade nocturne quotidienne.

117

Il avait beau compter et recompter ses doigts, il ne trouvait pas le même nombre.

118

Il court derrière le chat à toute allure. De temps en temps, il parvient à sa hauteur et, en se baissant rapidement, il arrive à le caresser du bout des doigts. La poursuite continue.

119

Le bouchon de super-glue collé aux doigts, Loïc était une fois de plus mal barré.

120

Raf était un garçon au regard de chien, sans conscience à première, seconde, et toutes vues possibles.

121

Il n’aimait pas ces moments-là mais savait comme tout le monde que cela passerait. Dans de tels moments il ne savait pas quoi faire, bien qu’il en ait fortement envie.

122

Je suis jaloux des jongleurs, du soleil, mais pas de mon chat, que j’aime bien aussi, pourtant.

123

Bien, essayons la télépathie.

Je lui envoie mes pensées par des ondes concentrées en un point de mon cerveau, puis dirigées à la vitesse lumière vers son point à elle.

Puis je cesse mes efforts directionnels pour rendre mon cerveau le plus ouvert et pénétrable possible, laissant mes pensées devenir un lit moelleux et accueillant pour sa réponse, que j’attends en vain.

124

Le petit garçon décoche une pichenette à sa seule bille de porcelaine, qui vient percuter trois des billes de ses amis. Il va s’exclamer de joie, lorsqu’il voit sa bille maintenant immobile, se fissurer et tomber en trois petits morceaux tout à fait égaux.

125

Il gara sa voiture très près du buisson, et eut beaucoup de mal à sortir, la portière pouvant difficilement s’ouvrir. Bien entendu, il aurait pu sortir par l’autre portière, mais il était de ceux qui se bloquaient très rapidement l’esprit sur une action à accomplir coûte que coûte, dans l’aveuglement le plus total et stupide.

126

Jean n’avait pas l’habitude de voler dès le matin. Chaque jour, il prenait son petit déjeuner comme beaucoup, se douchait comme la plupart et s’habillait comme la majorité des gens. Après seulement, après avoir fait quelques pâtés de maisons en marche à pieds, il tentait quelques petites surélévations pour s’échauffer.

Mais ce matin-là, Jean était dans une forme spéciale, éblouissante selon le terme usuel, et il ne savait pas trop si c’était une bonne chose ou pas. Toujours est-il qu’encore en pyjama, avant même d’avoir posé le second pied-à-terre il s’envola comme une flèche, passant à travers la fenêtre qui par chance était ouverte.

Saluant un couple de moineaux au passage, il entreprit de transpercer un nuage en guise de douche. Il en choisit un petit mais bien dense, qui le laissa humecté plusieurs heures.

127

Cent fois il l’avait regardé, quelques fois elle lui avait rendu son regard, jamais il ne fut naturel face à elle, jamais il n’aurait cru pouvoir l’être un jour, amoureux. Et effectivement, cela ne se produisit jamais.

128

Sans ses ailes, le papillon continuait à vouloir les battre, ce qui se traduisait par un gigotement pénible à regarder.

129

Les trois doigts coupé du géant étaient plantés depuis des siècles au sommet de cette colline herbeuse.

130

L’attente étant comblée par l’écriture, l’écriture n’étant qu’une fuite de la vie, la vie étant de toute façon présente, la souffrance de la liberté.

131

Le chat miaule devant la porte fermée. Je lui ouvre, mais il tourne lentement devant l’ouverture sans la franchir, se rassoit puis entreprend sa toilette.

Je retourne dans ma chambre, laissant la porte entrouverte en guise d’invitation, me laisse tomber sur mon lit, mais pas trop lourdement, en soupirant et en priant cette fille de venir me jouer quelques airs de flageolet pour me décontracter.

132

La soif ne gênait pas Loïc, elle était pour lui le moteur de sa marche, et cette sensation lui permettait de se sentir vraiment prêt à accueillir tout ce qu’il allait voir aujourd’hui.

133

Le marteau vole au-dessus des fils télégraphiques.

Loïc, trouvant cette image d’une poésie douteuse, pleure sur son manque d’imagination.

134

Jean, avec une agilité qui l’étonne lui-même, évite toutes les gouttes de pluie acide qui tombent sur la ville.

135

La larme à l’œil, Sylvain essuie son couteau beurré.

136

Le pantalon était impeccablement plié, et la femme qui venait de la repasser aussi méticuleusement passa le dos de sa main gauche sur son front rugueux.

137

Il glissa dans l’herbe boueuse pendant quelques mètres, projeté par la choc de l’explosion.

Bertrand Spinal n’avait pas fini d’en baver, ça c’est sûr.

138

Il lança une brique contre le mur de briques.

139

Il vérifia son haleine. Quand il comprit que son haleine n’était pas bonne, il la garda bien précieusement dans une boite en argent.

140

Rac le cow-boy sans peur et avec beaucoup de reproches vit une ombre s’avancer vers lui. Sans se retourner il envoya quelques pruneaux dans le ventre de son agresseur potentiel, puis il jeta un œil au-dessus de son épaule pour vérifier que son cadavre en était bien un.

141

Suis-moi le long du chemin jonché de limaces écrasées, au milieu des herbes et de la terre mouillée, nous irons jusqu’au bord de ce précipice sans en voir le fond caché par des arbres nombreux.

142

La plénitude de l’expression de son visage ne laissait aucun doute quand à sa pensée.

143

La première fois que Loïc avait joué à pile ou face, il ne savait pas quel côté était pile, et quel côté était face.

Une dizaine d’années plus tard, il ne le savait toujours pas.

144

L’aventure cet été n’était pas terrible, pour Bertrand Spinal. Il ne désespérait cependant pas et passait ses journées sur un transat dans son loft souterrain, à l’abri des regards.

Il se lissait tranquillement les poils de sa barbe de trois jours, en se demandant pourquoi il n’y avait pas beaucoup de bandits de grands chemins en action ces temps-ci.

Il tapota négligemment un numéro sur le combiné de son téléphone portatif en regardant l’heure que lui indiquait son horloge portative ;

Cela sonnait occupé. «Moi aussi j’aimerai bien être occupé », pensa Spinal.

Soudain, une explosion retentit et fit trembler toutes les canalisations de son loft.

Spinal avait tout de suite localisé l’impact et se précipita vers une petite armoire, en sortit un masque à gaz, et couru vers le garage. De la fumée rouge et grise s’en échappait lentement. Sans perdre un instant, Spinal ouvrit la porte et découvrit la carcasse de ferraille qu’était devenue sa voiture. Quelques minutes d’inspection lui permirent d’établir un diagnostic : une bombe avait explosé. Probablement un attentat.

Le téléphone sonna deux pièces plus loin. Il couru le décrocher,et n’eut même pas le temps de dire : « allo » qu’une voix grave et métallique lui imposa ce slogan : « La ligue anti-voiture aura le dernier mot de la fin ». -clic-

Spinal réfléchit deux secondes avant d’établir un lien entre l’explosion dans son garage et ce mystérieux appel téléphonique.

145

Il matérialisa son épée dans le prolongement de son bras, et dans un demi-tour fulgurant décapita le petit caniche noir qui n’arrêtait pas d’aboyer d’une façon tout à fait exaspérante.

146

Il hurla, mais aucun son ne sortit. Pourtant, la moitié des passants de cette rue se plièrent de douleurs convulsives en se bouchant les oreilles.

147

Il la vit, elle était translucide, les rayons du soleil faisaient mille trajets dans chacune de ses veines.

148

Il manquait une dizaine de feuilles à ce livre, qui était son préféré. Il l’avait recherché dans toutes les bouquineries d’occasions, dans l’espérance de trouver un autre exemplaire de ce livre pour enfin prendre connaissance du passage manquant. Des mois et des années passèrent sans qu’il eut trouvé cet exemplaire, et les rencontres et les événements de la vie aidant, il réussit à oublier cette recherche, et n’en eut pas pour autant une vie boiteuse. Un jour pourtant, et il fallait bien que cela arrive, pour le côté romancé, il tomba par un véritable hasard sur un nouvel exemplaire de ce magnifique livre. Il l’acheta aussitôt, pour une somme dérisoire, et couru à perdre haleine chez lui pour faire part de sa découverte à sa femme. Celle-ci, plus calme que lui, feuilleta l’exemplaire, et remarqua quelque chose de troublant, qu’elle hésita à montrer à son mari.

149

L’esprit, les pensées sont en confusion, mais tout tourne autour d’une seule idée, d’un seul but, de cette fille qui elle aussi a l’esprit en confusion. Tout est confus, tout s’entrechoque, tout s’énerve et ne m’avance à rien.

Il faudrait que je l’oublie, mais je ne le veux pas. Je m’accroche à l’idée que je puisse me lier avec elle comme à un rocher qui se détache du bord d’un précipice. Sauf que ce mouvement de détachement se répète sans cesse, ne continue jamais (je ne chute jamais jusqu’au bout, juste un perpétuel début de chute, très désagréable).

150

A travers la fenêtre qui donnait sur le toit, le chat se glissa avec assurance.

151

Ninguna

152

Parfois, je me demande si je suis mort. Dans ces cas-là, je ne me décourage pas je me rapproche d’une vitre ou d’un miroir et souffle mon haleine dessus. S’il y a de la buée, c’est que je suis vivant.

153

C’était le genre de fille à tempérament suicidaire, une de celles qui commençaient plein de livres sans jamais aller plus loin que la trentième page. Mais il serait faux de l’emprisonner dans une définition, à laquelle elle échappe forcément à certains moments.

154

Le chef d’orchestre se servant d’une flûte comme d’une baguette.

155

Mon père, je ne sais trop dans quel but éducatif, m’obligeait tous les soirs à faire une partie d’échec avec lui, et ce dès que je fus en âge de jouer. Tous les soirs, sans exception, nous nous asseyions à une table et sortions la fine valise qui se déployait en échiquier. Mon père disait : « tu ne seras plus obligé qu’à partir du moment où tu m’auras battu ». Alors, et j’enrageais souvent pendant les années où les filles semblaient m’appeler, nous jouions.

Un jour, je le battis, et hurla de joie après être monté sur mon toit, face à la lune et à la ville entière ; j’étais enfin libre, j’avais réussi !

Deux mois passèrent ainsi sans que je ne songe à ces parties d’échec passées.

Puis un soir d’été, sans trop y penser, je déclarai à mon père :

« Ecoute, à partir de ce soir tu es obligé de te confronter chaque soir avec moi aux échecs, tu ne seras plus obligé le soir où tu m’auras battu. »

Mon père ne me sourit pas, il se contenta de se lever et d’aller chercher la fine valise de bois.

156

Le marié, soudain conscient du brouhaha et de l’absurdité de cette fête, chercha quelqu’un du regard pendant quelques secondes. Enfin, il retrouva ce jeune enfant qu’il avait remarqué au début de la célébration, celui qui visiblement s’ennuyait mortellement.

157

Un garçon de onze ans est au lit quasiment toute la journée car on vient de lui trouver une maladie incurable. La maladie progresse rapidement, mais il se trouve pour l’instant dans une phase de fausse accalmie qui sera, selon les médecins, suivi d’une rechute plus rapide encore et sans surprise possible dans son issue.

Un homme qui travaille à la bibliothèque du quartier vient lui faire la lecture presque tous les jours, à la demande de sa mère qui le connaissait un peu.

L’homme se révèle être plus qu’un conteur. L’enfant vit des centaines de vies dans son lit, sans que le reste de la famille s’en doute.

Pourtant, la rechute prédite arrive et l’enfant est dans un état tellement fiévreux qu’il devient impossible de lui faire la lecture.

Il s’avère que le conteur était lui aussi touché d’une maladie incurable, ce dont l’enfant sera averti une fois la mort de son ami annoncée.

A ce moment, une série de réactions en chaîne a lieu chez l’enfant, comprenant les contes, la vie du conteur et sa propre vie. On ne sait pas si l’enfant meurt ou pas à la fin.

158

Le petit abruti qui joue de la guitare sur les veines de son avant-bras.

159

Une fois sevré, je fus frappé par ma mère régulièrement, jusqu’à l’âge de sept ans. Age auquel mon père cru bon de me laisser faire ma vie, car il était superstitieux, et par conséquent croyait que sept ans était l’âge de raison.

Ayant pour tout bagage une gamelle, je fus lâché sur les chemins rocailleux de la vie.

Dix ans plus tard, j’étais toujours ainsi vagabondant, dans les mêmes habits qu’à mon départ, si bien que je me sentais trop à l’étroit, car j’avais grandis et grossis énormément.

Un jour, un petit garçon me jeta un caillou, croyant que j’étais une montagne, c’est vous dire si j’étais gros.

J’ai rencontré beaucoup de gens durant ces dix années, mais peu restent encore dans ma mémoire,car peu étaient dignes de souvenir, et faible est ma mémoire.

Je ne prendrai pas la peine de vous énumérer ces rencontres, car malgré l’endurance que j’ai acquise sur les routes, je n’en suis pas moins resté fainéant, faiblard et péquenot.

Issu d’une famille péquenotte, pas un instant pourtant je ne reniai ces origines, et priais le ciel pour qu’un jour moi aussi j’eusse des enfants qui fussent péquenots à leur tour.

Ces quelques phrases autobiographiques que j’ai écrites sur ce rocher, je les offre à mon chien, si un jour j’en ai un.

160

Deux-trois brindilles dans chaque mains, je salue bien connement la vache qui me regarde.

161

Sûr de lui, le pélican croasse et pique du nez. Encore un pélican qui s’énerve. Quand cela cessera-t’il ?

162

L’assiette sentait très mauvais, parce qu’on ne la lavait jamais, et que pourtant on continuait à s’en servir pour manger.

163

L’arc était posé sur la bûche coupée, le guerrier se reposait sur l’herbe grisâtre en surveillant de ses yeux mi-clos le bord du précipice, de crainte qu’un quelconque rapace préhistorique (improbable) apparaisse.

164

L’acte inachevé de ce pianiste demeura célèbre, si l’on en croit les plaisanteries nombreuses du vieillard sénile du coin.

165

L’organisation de cette tuyauterie était impossible à comprendre pour un esprit normalement constitué, mais celui de Bertrand Spinal, spéléologue extraordinaire de son état, était plus que quiconque apte à mettre fin à cette fuite d’eau chaude.

Regardant d’un air taciturne un horizon imaginaire, Bertrand Spinal mit ses gants, cracha dessus et se frotta les paumes.

« Au boulot ». Ce n’était pas une mince affaire, mais c’était un jeu d’enfant.

Il insulta le robinet pour l’intimider :

« Alors, salopard, on fuit, comme un lâche ! »

Le robinet ne répondit pas, muet comme une carpe-robinet.

Bertrand Spinal eut à peine le temps de dire ouf, qu’il avait déjà réparé la fuite.

Il apostropha une nouvelle fois son ennemi mortel :

« Alors, robinet, tu fais moins le fier à présent. »

Bertrand Spinal, les yeux fixés vers l’horizon, se rasait tous les matins.

166

Bertrand Spinal, spéléologue de son état, avait exploré les grottes les plus grotesques de toute la moitié Est de la surface du globe. Bertrand Spinal se rasait tous les matins, ne perdant jamais l’espoir qu’un jour sa barbe s’arrêterait pour de bon de pousser.

167

Bertrand Spinal fut baptisé ainsi par sa maman, qui jamais n’aurait cru qu’il serait spéléologue.

Une fois que Spinal était devenu un spéléologue rodé, sa mère s’était enfin faite à cette idée.

A ce moment-là, elle ne se serait jamais doutée qu’un jour Bertrand serait un aventurier à la barbe de trois jours, un aventurier qui combat les bandits de grands chemins.

Pour Bertrand, comme pour beaucoup de monde, explorer des grottes mystérieuses était déjà de l’aventure, mais combattre des bandits internationaux et dangereux en était encore plus.

168

Nul ne sait quand Bertrand Spinal mourut. On peut évaluer en gros la période où il disparut, mais de là à dire qu’il était mort. Il ne reste plus qu’un des rasoirs jetables de Bertrand Spinal comme souvenir, et sa maman le gardait bien précieusement.

169

Des tartines d’écriture inutiles, incohérentes, absurdes. Il vaudrait mieux pour moi que la réincarnation existe.

170

Spinal, encore lui, en haut de la tour, il saute, il donne un coup de karaté au Gros Bossu, bandit internationalement dangereux. Celui-ci, à moitié assommé, sort une mitraillette de deux centimètres de long (symbole phallique), et décoche une rafale de balles sur Spinal. (Tout cela se déroule dans l’air, en chute libre, le sol se rapprochant de plus en plus vite).

Spinal, connaît son métier, il donna un coup de karaté sur toutes les balles envoyées par son ennemi juré de l’instant, qui est ainsi touché à neuf de ses points vitaux.

Donc, il meurt.

Bertrand Spinal n’est pourtant pas tiré d’affaire.

Sans peur, il se caresse sa barbe de deux jours (d’habitude c’est trois jours) à rebrousse poils et amorce une réflexion ayant pour thème :

-Comment faire pour ne pas me faire mal arrivé en bas ?

Heureusement, il avait déjà vécu des dizaines de fois cette scène (en rêve) et sut parfaitement comment atterrir de façon largement amortie, car il avait vu des judokas chuter, en roulant sur le dos, et en tapant un coup du plat de sa main.

Concentration zen. Spinal de justesse évite le cadavre du Gros Bossu qui s’éclate dans un grand giclement de, successivement :

– sang

– os

– eau (le corps est, rappelons-le, constitué à 70% d’eau).

– tabac froid.

Spinal s’endort sur le champ.

Il lui faut rattraper un jour, afin de retrouver sa barbe de trois jours.

171

Catherine Peilloux nous parle de lui :

Je me souviens de Bertrand Spinal. Son nom résonne dans mon cerveau comme son nom résonne dans chacun des cerveaux de ceux qui l’ont connu.

Bertrand.

Spinal.

Bertrand Spinal.

Je l’ai croisé pour la première fois à l’âge de dix-huit ans. J’étais donc majeure. J’avais une belle poitrine, ferme et contrebalançant admirablement bien mes belles fesses.

J’avais un sourire craquant, parce que mélancolique.

Craquante, je l’étais.

Colique, il l’avait.

Mais je lui pardonne tout.

Oui, bien sur, il piquait.

172

Bertrand Spinal, c’est aujourd’hui indéniable, piquait lorsqu’on lui faisait la bise.

173

Bertrand Sipial, à ne pas confondre avec Bertrand Spinal, en avait marre qu’on le confonde avec Bertrand Spinal.

174

Un jour, comme tant d’autres, Bertrand Spinal rendit visite à Bertrand Spigial, par pitié envers cet être que beaucoup confondaient avec lui.

« Pourtant, Spigial, ça ne sonne pas vraiment comme Spinal », dit Spinal.

« Je sais, mais tous ces gens, ils sont si bêtes… », répondit Spigial.

« Je comprends… », reprit Spinal, « …ils sont tellement bêtes qu’ils en arrivent à confondre Spinal avec Spigial. »

175

Le deltaplane de Spinal était coriace, tant qu’il fallait s’y mettre au moins à deux pour le porter.

176

Un triangle fend le ciel des Carpates. C’est probablement un aventurier. Cette hypothèse est confirmée par un berger qui reçoit dans sa paume un poil, après le passage du deltaplane. Il s’avère que ce poil correspond exactement à celui qui aurait pu faire partie d’une barbe de trois jours. Spinal est identifié.

177

Spinal pensait passer incognito dans ce village des Carpates.

C’était sans compter sur le coup du sort, qui fit tomber une jambe de l’aventurier en plein dans les bras d’un berger qui était dans une prairie, pile au moment ou Spinal faisait un vol de reconnaissance en deltaplane.

178

Bertand Spinal était en détention d’une glande pinéale du tonnerre.

179

Un hélicoptère aux pales surdimensionnées faisait un boucan insupportable dans ce normalement paisible petit village des Carpates, que l’on croyait d’ailleurs abandonné, car plus personne n’y envoyait de courrier.

Seul le facteur était dans la rue principale au passage de l’hélicoptère.

Flap ! Flap ! Flap !

Quel vacarme.

Le facteur n’a pas peur, même s’il sait très bien que cet hélicoptère ne peut pas être là comme ça, par hasard.

Flap ! Flap ! Flap !

L’hélicoptère, plutôt vert, pour mieux se confondre avec le paysage naturel des Carpates, tournoyait inlassablement autour du clocher de l’église.

Flap ! Flap !

Le facteur regarde dans sa sacoche, au cas où il y aurait du courrier pour l’hélicoptère.

Mais peine perdue, il n’y avait pas de lettre, et l’hélicoptère, lui, était bien là. Le facteur n’y comprenait pas grand-chose. Pendant ce temps, dans l’hélicoptère, le lieutenant Brandognac se lissait la moustache en regardant l’horizon d’un air perplexe.

Nul ne sait ce qui pouvait bien lui passer par la tête, mais quelle ne fur pas la surprise lorsqu’une sacoche pleine de lettres vint cogner lourdement contre son pare-brise, déséquilibrant momentanément l’hélicoptère. N’écoutant que son courage, le lieutenant Brandognac prit bien la peine de regarder s’il y avait une lettre pour lui.

Mais après maintes vérifications, il dut bien se rendre à l’évidence, il n’y avait rien à son nom.

180

Félicie la grosse putain marchandait son corps sur le trottoir qui faisait face à la maison des trois alchimistes.

Le premier, cherchait la pierre philosophale.

Le deuxième, cherchait à séduire Félicie.

Le troisième, baisait avec Félicie gratis.

181

Trois revolvers dans ma poche, il ne vaut mieux pas me chercher des crosses.

Trois crosses dans son calbuth, il ne valait mieux pas lui chercher des noises.

Trois noisettes entre ses fesses, il ne valait mieux pas lui chercher d’ennui.

Trois ennuis dans son calepin, il ne valait mieux pas lui causer de problème.

Trois problèmes dans mon cahier de maths, il ne vaut mieux pas me chercher ce soir.

182

La laverie automatique est fermée cette semaine, quand bien même je tambourinerai comme un malade, toute l’après-midi.

183

La dernière fois qu’un mort-vivant m’a attaqué, c’était si je me rappelle bien en hiver 78, je lui ai fait une prise de judo et il s’est retrouvé la tête dans le laveur automatique.

Je ne suis pas vraiment violent, mais lorsqu’il faut me défendre, on ne me le propose pas deux fois.

184

Les contes de fées ont cette propriété de ne pas forcément contenir de fée. Il faut bien se convaincre qu’une fée se ballade, cachée quelque part, dans une histoire comme le Petit Chaperon Rouge.

185

La fée s’était penchée sur mon berceau, je me souviens bien. Mais qu’elle avait de grands yeux, qu’elle avait de grandes dents, et qu’elle avait de grandes oreilles !

186

Le panier d’osier sous mon bras, je vais apporter des petits pots de lait et des biscuit à ma grand-mère. En chemin, perdus dans l’immensité de ce paysage naturel touristique, mes yeux ne voient pas à temps la pierre qui me fait culbuter et renverser le panier.

Les pots de lait se brisent et se déversent, remplissant la terre qui absorbe cela comme une éponge.

Un seul pot reste intact, mais, jaloux de cette terre gloutonne, j’ouvre ce pot et le boit en quelques gorgées, avidement, et tellement rapidement que j’en attrape le hoquet ; j’en oubliais ma grand-mère. Puisse-t’elle me pardonner…

Je ne sais plus où aller, à présent.

187

Que les bras se lèvent, tendus vers les branches solides qui nous surmontent. Que nos yeux se tendent et fuient dans leurs feuillages, et que nos corps s’immobilisent dans leur direction, semblables à des troncs.

188

L’arc bandé par Belzébuth me bute, elle m’apitoie.

189

Jean-Louis rota et un goût d’œuf au plat crâmé lui revint dans la bouche.

190

La pluie ne pouvait pas le mouiller car la chaleur qu’il dégageait faisait aussitôt fondre les gouttes. Il peinait à porter ce lourd sac en toile, rempli de patates, ou de choses de ce genre-là.

Il fixait le ciel de ce regard béat et plein d’espoir dont il avait le secret.

Ces yeux ne semblaient d’ailleurs pas voir plus loin que leurs rétines.

Il n’était pas fatigué, ni en bonne forme.

Il n’était ni en train de rêver, ni dans la réalité.

Le sac à patate semblait le soulever, tandis qu’il marchait à pas traînant, péniblement cambré et la tête relevée, n’étant pas prêt d’abandonner, et encore moins d’être abandonné.

Le sol finissait par glisser sous ses pieds, usant ses souliers.

Il pensait certainement, mais quant à dire à quoi…

Seul l’appui de son regard creux et profond pouvait nous renseigner sur ses espoirs, ou sa résignation.

Il ne parlait que pour demander sa route. Et toujours, on lui répondait la même chose, qu’on ne savait pas où était cette rue.

Le peu de cheveux qui lui restait étaient décoiffés.

Parfois les femmes tentaient de le distraire, car elles étaient fascinées par la beauté grandissante de cet homme sans âge, bien plus indépendant d’elles que tous les autres garçons de la ville ne pouvaient tenter de l’être.

Le nom qu’on lui avait donné est depuis longtemps sorti de notre mémoire ; seul son expression, son visage, son sac à patate, restent figés à jamais dans l’atmosphère de cette ville.

191

Le bras tendu, il lâche doucement le verre, qui finit par s’écraser par terre, comme de la pâte à modeler.

192

Le garçon n’a pas la pichenette sûre, mais tente tout de même de viser la bille de son adversaire. Sa bille est déviée par une petite caillasse, et va toucher une de ses propres billes.

193

La femme danse en frappant ses mains en rythme, tordant sa taille et tournant son buste. Elle jette sur moi un regard en coin, sans fierté, sans prétention, mais de haut.

194

Je cours après ce boulet.

195

La sinuosité de ce chemin me semblait plaisant, mais j’avais toujours l’impression d’aller droit devant moi.

196

Son sexe était mou, sa tête dure.

197

Elle était d’une bonne humeur contagieuse, et moi d’un pessimisme transmissible. (La différence entre nous était dans le temps mis par nos états à se transmettre).

198

Elle appuie sur ses yeux de ses doigts tièdes. Avant même qu’elle ôte ses doigts, je sais que ses yeux sont en train de me regarder.

199

Hier en me croisant, elle m’a frôlé de sa robe.

Aujourd’hui, en me croisant de nouveau, elle m’a frôlé de son parfum.

200

Demain, elle s’arrêtera.

201

Elle frappe dans ses mains dans un claquement rythmé et non assourdissant, elle me donne envie de danser, et comme si elle avait lu dans mes envies elle se met à danser, si bien que j’en suis immobile, à être tiré dans toutes les directions à la fois.

202

Systématiquement, elle n’est pas là. Quand elle est là, c’est moi qui ne suis pas là.

203

Nous sommes tellement semblables en ce point que l’on peut dire, le plus banalement du monde, que notre amour est impossible.

204

Les petites créatures, malgré la pénombre, apparaissaient clairement dans leurs démarches toutes différentes.

On pouvait deviner qu’elles se parlaient lorsque l’une d’entre elles émettait un bruit et que toutes les autres s’arrêtaient.

Soudain, une femme à peu près de ma taille sort d’on ne sait où et se met à danser en tapant dans ses mains d’un rythme communicatif.

Les petites créatures, considérant cette apparition de la même manière qu’un des nombreux arbres de cette forêt, la contourne et vont à leur tour s’engouffrer dans les ténèbres.

205

Le sourire grimaçant de mon chien me donne envie de le tuer. Au moment où je tends mes mains vers sa gorge, je vois qu’elles ne sont plus mes mains, mais des pattes. Je lève mon regard vers la gueule du chien et me rends compte qu’il n’a plus une gueule de chien, mais une gueule d’homme.

Sa tête se lève car son corps se redresse ; je tente de crier, mais me retiens, de peur de me mettre à aboyer.

L’homme qui se trouve dorénavant face à moi s’avance lentement, mais d’un pas décidé, vers moi, ou ce que je crois être moi, et se met à m’étrangler.

Je ne résiste même pas, car dans la frayeur de ce qui m’arrive, la mort m’apparaît comme la seule issue valable, si ceci n’est pas un rêve… ce que je crois.

206

Je cherche une fille qui soit plus que ce qu’elle croit être.

207

« Ce sont toujours les meilleurs qui partent » : je me suis dit que peut-être, si je partais, je deviendrai le meilleur.

208

Pour s’amuser, il fit le poirier, quand son grand frère l’attrapa par les chevilles et le suréleva, pour ensuite le basculer sans faire attention à la tête du pauvre Loïc qui cognait contre le mur, au milieu de ses cris d’impuissance et de son souffle saccadé.

209

Larrature tourna la tête vers son interlocuteur et le regarda avec des yeux peinés.

210

Quelques bonnes raisons pour arrêter de vivre :

-Il faudra s’occuper de mes parents quand ils seront devenus vieux et séniles.

-Sentir l’odeur du sang de poisson dans un évier.

-Savoir qu’il y aura forcément des imbéciles pour klaxonner le jour de mon mariage.

211

Je ne veux ni récompense, ni punition.

212

La place du mort.

213

Déliquescence.

214

J’étais dans ce couloir en attendant que l’on m’appelle, pour passer l’oral de rattrapage du baccalauréat (le deuxième que je passais).

J’avais appris un mois plus tôt que j’avais réussi, je ne sais trop comment, mon concours de facteur, et je n’en avais plus rien à faire de rater mon bac ou pas. Malgré cela, j’avais obtenu assez de points pour avoir le droit d’aller au rattrapage. Et j’y allais, avec toute l’insouciance de la sécurité de l’emploi, et avec vingt et un points à rattraper. J’avais eu trois points à l’écrit d’espagnol, alors, pour foncer dans le tas, je choisis de passer le rattrapage dans cette matière, me demandant, par jeu, s’il était possible de descendre encore plus bas.

La porte devant moi s’ouvrit, et je ne pus qu’apercevoir une touffe de cheveux et entendre mon nom. Je pris mon sac, me levai et suivis cette prof, qui était vêtue d’une robe moulante, mais suggestive, et assez courte pour que l’on puisse se rendre compte d’une paire de jambes revêtues d’un collant aux reflets vertigineux, desquelles je ne pouvais détacher mon regard plus de trois secondes.

Elle me choisit un texte à commenter, et j’allais m’asseoir, les yeux effleurant à peine les mots que je ne comprenais pas, pour mieux glisser sur les jambes de cette femme, d’une trentaine d’années, qui dépassaient de derrière son bureau.

Le temps de préparation écoulé, elle me demanda de venir m’asseoir en face d’elle, qui semblait me regarder avec un mystérieux intérêt. Passant de sa poitrine à ses épaules, de ses épaules à sa bouche, et de sa bouche à ses jambes, qui étaient maintenant à quelques centimètres de mes yeux. Je reculais un peu de ma chaise comme pour mieux m’installer, alors que c’était juste un moyen d’avoir une meilleure vue sur ses genoux, avec un début de cuisses qui malheureusement était interrompu par une ombre.

Elle avait compris que je ne m’intéressais pas vraiment à l’espagnol, et ne me semblait pas en être plus choquée que ça.

Elle me posa quelques questions en espagnol, auxquelles je répondais par monosyllabes ou silences gênés. J’avais les yeux rivés sur la zone d’ombre, attendant avec l’espoir que la lumière s’y fasse. Loin d’ignorer ce à quoi je pensais, la prof ne retira pas ses jambes, elle écarta même un petit peu plus ses jambes, elle écarta même un petit peu plus ses cuisses, de quelques millimètres, mais cet écart me semblait gigantesque et la chaleur me monta à la tête.

Nous sommes restés ainsi plusieurs secondes, sans parler, et j’avais totalement oublié où j’étais et pourquoi j’étais là.

Elle me rappela de sa voix fluide qui s’enrouait parfois un peu plus sur les pointes des aigus, en me demandant combien il me manquait de points. Je le lui dis, elle fit le calcul avec lenteur, tournant son visage vers moi. Je ne sais ce qu’elle pouvait bien me trouver, mais elle semblait l’avoir trouvé, et à ce moment-là, je savais que si je voulais, dans une heure environ je pourrais connaître un peu mieux cette zone d’ombre. J’imagine que mon comportement, à la fois troublé par son physique et totalement je-m’en-foutiste par rapport aux résultats du bacs tout cela devait former une sorte de présence sexuelle et masculine que visiblement elle n’avait pas souvent l’occasion de rencontrer, et qu’elle n’avait pas l’intention, quelque part, de me laisser partir sans avoir tiré de moi tout ce qu’il en était possible.

Elle finit par me donner la note exacte nécessaire pour avoir mon bac, et, chose curieuse, je m’en fichais vraiment, moite que j’étais.

J’étais en train de faire des exercices de respiration (j’avais lu un truc sur la respiration dans le yoga : aspiration, expiration, arrêt. On recommence jusqu’à ce qu’un certain calme revienne).

Je commençais juste à retrouver ce calme lorsqu’elle se leva et vint s’asseoir presque contre moi, sur le bord de son bureau.

-Tu es le dernier à passer, dans une demi-heure je serais libérée du décomptage des points, est-ce que tu veux que je te raccompagne chez toi, ma voiture est juste en bas, face à l’escalier, la blanche.

Mon calme était envolé, et une intense agitation remuait tout ce qui pouvait se trouver sous ma peau. Mes yeux étaient chauds, il me semblait que sa peau était déjà en contact avec mon corps et que ses cheveux se collaient à la sueur de mes épaules. Je savais que c’était une situation inestimable ; plus tard, je me rappellerai de ces livres de Bukowski.

Pour la première fois je tournais franchement mon visage vers le sien, ses lèvres venaient d’être humectées par sa langue, que j’avais à peine eut le temps de voir sortir et rentrer, un bref éclair rose et prometteur. Nos visages auraient pu se coller l’un à l’autre, je vis qu’elle aussi était émue, malgré la supériorité qu’elle aurait voulu se donner, et ses joues rougissaient, et la chaleur qu’elle dégageait était déjà mêlée à la mienne. Mes yeux enfin plongèrent de ses pommettes à son regard, et je répondis : « Non ».

Je partis, après lui avoir dit au revoir, sachant très bien qu’elle pouvait décider au dernier moment d’annuler les points qu’elle m’avait donnés, mais il se trouvait que je me fichais toujours de ces résultats, et elle, semblait encore toute troublée par ce qui s’était passé, ne me manifesta aucun reproche. Avant de sortir dans le couloir, je me tournai pour la voir encore ; elle regardait un mur, toujours appuyée contre le bureau, en position d’évaporation.

Je rejoignis la cage d’escalier, et me laissai à moitié chuter, assurant ma descente en touchant une marche par étage et arrivai en bas en courant un petit peu, pour m’arrêter sans me casser la figure. Je tombai pourtant à genoux sur mon cartable en regardant le ciel, et aspirai de l’air profondément.

Après un court temps passé dans cette position, je me relevai, repris mon sac et fixa la voiture blanche. J’eus soudain un début d’évanouissement, et m’appuyai contre le capot.

Après un nouveau temps passé immobile, je me sentis prêt à partir pour de bon. Mais pour rester totalement libre de ce passé, je décidai de laisser mon cartable posé sur le capot de la prof d’espagnol. (Peut-être est-ce cela qui m’a fait refuser son invitation : qu’elle soit prof).

Puis je sortis mes clefs, décadenassai mon vélo, m’assit sur la selle et pédalai, sans attendre que les résultats définitifs soient affichés sur les grilles du lycée.

Le lendemain matin, je regardais dans le journal si j’avais le bac, et bien oui, la prof ne m’avait pas trahi. Je n’allai pas me bourrer la gueule pour autant, mais allai me promener, parce qu’il faisait beau et que je me sentais bien dans mon slip. J’avais l’impression que tout me réussissait, et pour me débarrasser de cette impression que je savais néfaste, je me mis à courir et à sauter sur le trottoir en chantant ce qui me passait par la tête, jusqu’à ce qu’une petite vieille me voit, et alors j’eus honte, mon sentiment d’autosatisfaction était passé. Je m’assis sur un banc du premier jardin public venu, et regardai les arbres et les gens passer.

Une semaine plus tard, je devais me rendre à Paris pour passer la visite médicale avant de commencer à travailler à La Poste.

Ils me trouvèrent les pieds plats, et je fus donc cordialement invité à rentrer chez moi.

Je ne savais pas trop qu’en penser. J’étais refusé chez les facteurs, et il n’y avait que cela qui m’intéressait, je ne voulais pas continuer les études, et le métier de facteur me semblait bien, pour être en contact avec la vie, les intempéries, la marche. Les beaux-arts ou la fac de lettre, auxquels je pouvais prétendre avec mon diplôme ne me disait rien du tout.

Mes parents étaient presque heureux que je ne puisse plus être facteur, car au fond, ils voulaient que j’ai un : « vrai métier ».

Alors, et comme il faisait beau, je me suis acheté une tente légère, ai fait mon sac, et suis parti par le train dans un trou paumé à la campagne.

Là, en vacances, je ne vis quasiment personne, en dehors de l’épicière et de quelques paysans.

Je campais à proximité d’une ferme où j’allais chercher de l’eau.

Je passais la plupart de mes journées à me promener, dans les forêts, les champs, dans les quelques livres que j’avais apportés.

Une dizaine de journées plus tard, je sentis le besoin de voir des gens ; j’étais resté assez longtemps seul, et avais compris que rester ici serait inutile.

215

Loïc : Mais que fais-tu ici ? Je te croyais chez elle.

Jean : C’est ce que je croyais moi aussi.

Loïc : Tu n’as pas l’air bien, tu es pâle… violet, par endroit.

Jean : Vraiment ?

Loïc : Assis-toi, tu dois être aux portes de la mort.

Jean : Loïc !

Loïc : Oui ?

Jean : Je ne vais pas bien. (silence) Tu te souviens, le seul costume que je me suis acheté, il y

a une dizaine d’années ?

Loïc : Oui, c’était terrible, il ne t’allait pas du tout !

Jean : J’ai l’impression d’être ce costume, Loïc, je ne vais pas avec le monde.

Je ne suis pas allé chez elle, je ne vais pas bien avec elle.

Ne vas pas me dire le contraire, s’il te plaît. Tu es obligé de l’avoir remarqué, tu es le

meilleur ami que j’ai jamais connu.

Loïc : Qu’est-ce que c’est que ce numéro ? Jean, tu vas continuer à vivre ?

Jean : Je n’en sais rien. C’est que je ne vais pas bien, et le savoir n’y change rien. Maintenant,

je te parle, et je ne suis pas bien, je n’espère même pas que tu me remontes le moral, ce

n’est pas une question de moral.

Tu es très fort pour le moral, Loïc, mais je t’en prie, comprend ce qui pèse sur moi.

Loïc (après un long silence) : Même si je ne peux pas t’aider, je ferai quand même

semblant….

Jean : Non, ne me colle pas , crois bien que je n’ai pas d’autre solution que d’être seul.

Loïc : Allez, arrête ça, repose-toi un peu, fais-moi confiance ; tu deviens pathétique.

Jean : Tu ne comprends pas Loïc, ça ne va pas.

216

Tiré hors de la classe par le ciel, il traverse la vitre qui se liquéfie à son passage.

217

Ce n’était pas la goutte d’eau qui faisait déborder le vase, mais le vase qui se transformait lui-même en eau.

218

Il savait que dehors aussi il serait entouré de bruits, mais ce ne serait plus les mêmes bruits.

219

Il savait que maintenant la fatigue serait de la bonne fatigue.

220

Il savait que la pression exercée sur sa tête n’aurait plus lieu, que cela serait soignée par la nature même.

221

Il savait que des ennuis l’attendaient, mais qu’importe d’avoir, par exemple, une grave infection au pied, comparé à la souffrance que lui infligeait, par exemple, la nécessité d’aller se faire délivrer une fiche d’état civil à la mairie.

222

Il fait rouler une balle d’un bout à l’autre de sa paume, son immense paume, et cette terrifiante alliance, contre laquelle la balle vient cogner par à-coups, sans jamais véritablement s’arrêter.

223

A pieds joints dans la flaque. Un, deux, trois, je regarde à droite et à gauche avant de traverser. Je traverse, la tête tournée vers la gauche, puis la tête par terre, car je viens d’être renversé par un vélo.

Pas de souvenir de son conducteur. Vaincu par le vélo.

Je cherche dorénavant à le maîtriser, à le comprendre, le vélo, je le soigne.

Mais je ne veux écraser personne, ni rien, même pas la route, je cherche à rouler tellement bien qu’il n’y a pas de contact. Automotricité. Confiance, mais jamais absolue, même en mon corps, à la limite au soleil. Je le retiens, celui-là. Envie de chier. J’y vais.

224

Quand je pisse, c’est que je pisse, ce que je pisse, que ce que je pisse, ce que je pisse, quand je pisse, ce que je pisse, je me sens bien.

225

-Je suis venu pour t’applaudir.

-J’aurai préféré que tu sois venu pour m’écouter.

226

-Attends ! Tu n’entends rien ?

-Si, un petit chant aigu.

-Tu n’entends rien d’autre ?

-Un grattement. On dirait le grattement d’une plume de stylo. Il doit y avoir une petite fille qui écrit, dans la pièce du dessus.

-Mais tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a qu’un vieux grenier poussiéreux, au-dessus.

-Une petite fille n’a rien de vieux ni de poussiéreux…

227

-A qui penses-tu qu’elle puisse écrire ?

-Laisse-moi réfléchir…

Non, je n’en ai aucune idée.

-Taisons-nous, est-ce qu’elle chante toujours ?

228

Poster des lettres le matin et en écrire l’après-midi.

229

Elle chante toujours, les genoux pliés sur sa robe poussiéreuse. Elle sent la vieille poupée, et a une voix de mémé.

La pauvre, malgré sa situation, je ne peux pas m’empêcher de la détester, de souhaiter qu’elle meure avant qu’elle m’ait tué.

230

Il reçoit le bras visqueux qu’on lui jette et le jette à son tour. Puis on lui jette l’autre bras, et il le fait passer, de même que le précédent.

On lui fait ainsi passer le reste des éléments du corps de cet homme, dont il n’ignore pas la provenance.

La dureté s’est formée dans son regard. Il n’identifie même plus les morceaux qui lui glissent quasiment contre les mains.

Puisqu’on lui a demandé de faire passer, il fait passer.

Il tend une main vers son nez, pour renifler, mais se retient à temps, car cela sent trop mauvais pour être mis en contact avec la peau de son visage.

Il souhaite que ce soir, sa fiancée ne soit pas répugnée par le parfum de son visage, qu’elle ose l’embrasser, s’étendre à ses côtés au milieu de ces draps sales.

231

Cela fait un bon moment que ce spectateur, mon unique spectateur, applaudit sans faiblir ma prestation. Dès l’instant où je suis apparu sur la scène, il s’est mis à applaudir. Ces applaudissements ne cessant pas, je me mis à jouer, pensant qu’ainsi mon spectateur s’arrêterait.

Mais je m’étais trompé. Je suis arrivé bientôt à la moitié de la pièce, et il continue toujours, avec un sourire satisfait et des paumes rougeoyantes.

Cette pièce, un long monologue, avait été écrite par ce spectateur, je l’ai deviné depuis quelques secondes.

232

J’ai à côté de moi, pour les épreuves du bac, une pauvre et moche (pauvre, dans le sens pauvre d’esprit, tout du moins en apparence), je m’en tape pas mal.

Mais qu’elle sente la crevette aussi fortement, voila qui me fait la détester et me donne envie de reculer ma table le plus loin possible de cet amas de viande pas fraîche et mal conservée. Elle me déconcentre, d’autant plus que je sais que toutes les épreuves du bac se passent dans cette même salle, donc à un mètre de ce tas dégoulinant, qui n’a même pas assez d’amour propre pour se laver la chatte.

233

Tout à l’heure, j’étais assis sur un banc du jardin public, en lisant un peu, et regardant du coin de l’œil Douglas, mon chien, qui gambadait. Une fille d’allure spéciale rentre par l’ouverture qui est proche de mon banc. Elle tient en laisse un gros bouledogue à la queue coupée. Quand elle rentre elle me regarde et me sourit bizarrement, un sourire d’une certaine perversité. Elle passe devant moi, elle est relativement grande, porte un petit short de tissu fin qui lui rentre sans question dans la raie des fesses. Elle a de bonnes jambes ; en passant, elle se retourne un peu et me regarde, toujours bizarrement, et avec ce sourire pervers et sexuellement prometteur.

Elle s’éloigne, toujours en retournant à divers moment son visage vers moi. A un moment, j’ai même cru qu’elle allait faire demi-tour, que si je n’avais pas cessé de la regarder pour lire ce bouquin elle serait vraiment venue m’aborder. Elle n’avait pas l’air d’avoir peur.

Elle fait lentement un tour complet du parc, repasse devant moi (qui continue à faire semblant de lire, hésitant à me faire aborder par une fille, qui si ça se trouve n’était ni belle ni sexuellement valable, et au bout du compte conne deux fois comme moi) ; cette fois-ci elle tourne devant mon banc et coupe le parc, dos à moi. Je la vois donc s’éloigner, et constate qu’elle a une démarche un peu penaude (que je lui pardonne, vu la situation), et un corps un peu garçon au niveau des épaules et du torse, ce qui me fait oublier qu’elle m’intéresse, et me donne envie de partir.

Deux filles se ramènent dans une autre direction ; j’attends qu’elles aient passé les arbres pour voir si elles aussi méritent que je les observe de ce regard parfois en coin, parfois franchement de face, qui est le mien. Dès que j’ai constaté qu’elles étaient inintéressantes à mon goût, j’appelle : «Douglas», qui rapplique plutôt rapidement, et je sors par là où était entrée mon étrange perverse et son bouledogue.

234

Dans l’allée, puissant et tranquille, avance l’enfant du titan. A droite et à gauche, il regarde alors qu’il n’y a rien à traverser. Splendide, il regarde de haut toute cette affaire, et se retient d’applaudir devant tant de magnificence, car s’il le faisait, il risquerait d’écraser un moineau, par mégarde et par hasard.

235

Je ne fais pas semblant, j’essaie seulement. Et que tous les regards convergent vers moi, et qu’à la fois, personne ne me regarde. Je n’ai plus rien à vous dire et pourtant je désire tant vous parler, que les filles soient suspendues à mes lèvres, qu’elles embrasseraient comme pour embrasser mes paroles. Et aucune ne serait laide, car à m’écouter elle deviendrait belles, et si elles étaient déjà belles, elles le seraient encore plus encore.

Et je ne m’arrêterais par moments que pour leur laisser le temps de digérer mes paroles, et qu’ils souffrent un peu à les désirer et qu’elles ne viennent pas, afin que jamais ils n’oublient que ces paroles sont les miennes, et que je ne leur appartiens pas, que je ne suis pas un dû.

Ces pauses ne seront jamais causées par mon manque d’inspiration, car je saurais toujours quoi dire, mais j’en profiterais cependant pour écouter la musique de ce que deviendrait les hommes et les femmes, baignés dans le silence que je leur offrirai parfois, trempés dans l’écho de mes pensées, déchirés entre leur admiration pour moi et leur amour-propre. Comme j’aimerai cela, et comme j’en éprouve déjà du plaisir.

236

Comme tous ces cris d’enfants me percent, et comme mon écriture me déplait. Pourquoi est-ce que je ne bouge pas, et pourquoi est-ce que je continue d’écrire ? Car je crois encore qu’ils vont se taire, car je crois encore que mon écriture va me plaire. Et cela empire, et si quelques fois cela me donne l’impression que cela s’améliore, c’est juste pour me faire sentir encore plus que cela empire.

Mieux vaudrait arrêter, mais je ne suis pas encore libéré de cette idée que je me suis greffé dans la tête, que je porte en moi le talent des écrivains, et que je détiens ce pouvoir qui est celui que les choses se passent comme je le voudrais.

237

La nuit ne tardera pas à venir. Il ne devrait pas tarder non plus.

Pour hâter ce moment, je ferme mes volets, ainsi l’obscurité est quasi-totale dans ma chambre qui est devenu une salle d’attente.

Je m’allonge sur le canapé et cale mes mains sous ma tête, m’en servant comme d’un oreiller. J’essaie de dormir, sans me forcer.

Le vieil homme à qui j’avais donné rendez-vous devrait me réveiller, lorsqu’il cognera contre mes volets. Alors je me lèverai, ouvrirai la fenêtre et le découvrirai comme toujours, lumineux et sans sourire. Ses yeux brilleront comme les étoiles qui seront dans le ciel derrière lui.

Je lui demanderai de m’arracher la dent du fond, et il m’arrachera la mâchoire. Je hurlerai et il ricanera. Il me tuera peut-être et je ne lui en voudrai pas.

238

Oh, tu sais, ça fait bien longtemps que je ne crois plus en rien.

Oh, tu sais, cela fait si longtemps que je ne crois plus vraiment.

Je sais, longtemps.

239

Il remplit sa théière, et grandit la lumière.

Il surprit sa belle-mère et ne s’en soucia guère.

Il viola la misère et vomit son parterre.

Il était tout cela, et cela lui plaisait. Et il prit son essor et pressa ses bretelles.

Il perdit les pédales et se priva de dessert.

Il courut dans la rue et baigna sa chevelure.

Il surprit sa monture et lui mordit l’encolure.

Il plongea dans la mer, et en prit un bol d’air.

Il pesa sa soupière, et la jeta dans la mer.

Il cria à quiconque et poussa ses : « naguères ».

240

C’est bien pénible, mais il faut admettre que l’on peut toujours tout discuter.

241

Je n’ai pas le courage de valoir mieux qu’eux.

242

Au pain sec et à l’eau

243

Il mange des petits gâteaux qui lui fondent à moitié dans la bouche, et qui forment des petits pâtés à certains endroits dans sa bouche.

Il renifle, mais aucune morve ne retourne à son point d’origine.

Il a envie de regarder son poignet gauche alors qu’aucune montre y est attachée.

Il tâte l’épaisseur d’un livre, se dit qu’il va le lire.

Il observe sa propre main, qu’il trouve imbécile, avec de trop courts doigts.

244

Rapidement, il met son chapeau et s’engouffre dans la rue. Il saute d’un trottoir à l’autre et n’observe que les dallages de la bordure, ne relevant la tête que pour respirer convenablement. Les muscles de ses cuisses se détendent avec énergie, et il y prend un plaisir pur et puissant.

245

Une double baffe, je fouette le visage de cette salope, l’injurie en criant d’une voix grave et puissante, qui longtemps résonnera dans son esprit, comme une cloche funèbre inassouvie. Ma haine la fera rougir, ma colère la fera voler dans le ciel, tant d’énergie extériorisée, avec tant de franchise et de besoin, puisse-t’elle finir par m’oublier !

246

Des espèces de bulles et de gargouillis du ventre jusqu’aux fesses qui reviennent régulièrement, avec un mal de ventre sourd et parfois aigu, mais pas aigu longtemps.

247

Il ressentit un très désagréable frottement contre l’intérieur de ses dents, lorsque son esquimau fut terminé.

248

Loïc n’avait pas ouvert un livre depuis longtemps lorsqu’il ouvrit celui-là.

Le titre de ce livre n’avait rien de spécialement attirant, pourtant l’ouvrage était maintenant entre ses mains, après être passé entre celles d’un de ses amis, et après que ce dernier lui ait conseillé.

Il n’avait pas l’habitude de se laisser influencer par les goûts des autres, mais là, il avait cédé à la légère attirance qu’il avait pour ce livre, un roman, sans trop savoir d’où elle venait. Peut-être la couleur de la couverture, il ne savait pas.

Les premières lignes ne lui plurent pas spécialement, mais il continua, laissant une chance au livre d’être intéressant. Au bout de la deuxième page, il n’avait plus du tout l’intention de laisser tomber ce livre. Il ne laissait échapper aucun mot, chaque phrase étaient lues avec intensité, le livre lui plaisait beaucoup. Il ne bougeait que lorsque la position qu’il avait lui faisait trop mal (au dos, aux coudes, à la mâchoire –quand il s’appuyait sur sa mâchoire).

249

A chaque fois que ma mère lave la salle de bain, après j’ai l’impression d’être dans un hôpital.

250

Un coup à droite, un coup à gauche, un coup porté.


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